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En Côte d’Ivoire, le gouvernement veut assainir le secteur des cliniques privées illégales

Le jardin tient lieu de salle d’attente. Sous une tente, une quinzaine de personnes patientent pour l’un des quelque vingt soins médicaux proposés. Aucun n’est remboursé, ni par la couverture maladie universelle (CMU) lancée en 2019, ni par une quelconque assurance privée. Dans ce centre de santé ouvert « il y a quelques mois » dans la commune de Cocody à Abidjan, la plaque d’autorisation d’exercice obligatoire délivrée par le ministère de la santé « n’est pas là », souffle timidement une aide-soignante désarçonnée, preuve de la non-conformité de la structure.
Selon les estimations du gouvernement, environ 80 % des 3 000 cliniques privées ivoiriennes exercent dans l’illégalité. Celles-ci prodiguent près de la moitié des soins dispensés partout dans le pays selon le ministère de la santé et évoluent dans « un écosystème difficilement maîtrisé [qui] donne l’impression d’une réelle anarchie », alertait le rapport du Conseil national des droits de l’homme ivoirien (CNDH) en 2022.
Si, pour certains établissements, le problème réside dans une simple mise en règle administrative, la situation est pour d’autres bien plus préoccupante. Plusieurs scandales ont mis à nu la dangerosité de ces cliniques clandestines, comme la mort en avril 2023 dans le quartier d’Abobo à Abidjan d’une femme qui accouchait dans un centre normalement fermé et qui n’avait ni l’autorisation ni les compétences pour un tel acte. En juillet, la police sanitaire a démantelé un cabinet de consultation dans le quartier de Koumassi où trois faux médecins délivraient des médicaments contrefaits.
Ces structures médicales s’installent dans « n’importe quel local, l’équipent n’importe comment et dans des conditions d’hygiène aléatoires, voire inexistantes », déplore Assad Bassit, chirurgien et président de l’Association des cliniques privées de Côte d’Ivoire (ACPCI), évoquant des cas où une même seringue a pu être utilisée pour traiter plusieurs malades.
Dans ces centres où les conditions sanitaires et le matériel font défaut, des défaillances existent également au niveau des équipes, ni formées ni autorisées à l’exercice de certains soins. D’après le gouvernement, « 70 % du personnel soignants qui accomplissent des soins d’infirmiers n’[en] ont pas la qualité ».
Souvent, ce sont des aides-soignants « mal ou peu formés » qui « se font passer pour des infirmiers », déplore Jean-Marie Kongoue, secrétaire général du Syndicat des infirmiers et infirmières diplômés (SIIDE-CI). Des injections et des prélèvements « sans savoir se servir d’un cathéter » sont ainsi réalisés au mépris des règles.
Derrière ces pseudo-cliniques, se trouvent des promoteurs indépendants et des médecins désireux d’un complément de revenu. « Certains travaillent dans les hôpitaux publics, relate Assad Bassit. En parallèle, ils ouvrent leur propre structure » afin de doubler voire tripler leur salaire de 750 000 francs CFA (quelque 1 150 euros) dans le public.
Conscient de l’ampleur du phénomène et de sa gravité, l’Etat ivoirien a lancé l’opération « zéro clinique illégale en 2025 », prenant la forme d’une vague campagne de contrôle des établissements privés partout sur le territoire. En 2023, « plus de 500 structures ont été régularisées », se félicite Marie-Josèphe Bitty, cheffe de la Direction des établissements privés et des professions sanitaires (DEPPS), la structure du ministère de la santé chargée d’« assainir le secteur ». L’organisme assure avoir déjà inspecté 80 % du territoire et fermé ou mis en demeure plus de 1 000 établissements.
Leur ouverture rapide et incontrôlée lors des deux dernières décennies s’explique en partie par les violences politiques qui ont ébranlé le pays, laissant les promoteurs s’installer « dans l’ombre de la loi », explique Marie-Joseph Bitty. Pour le président de l’ACPCI, le laxisme un temps en vigueur n’a fait qu’accentuer le phénomène. « Si la répression était plus forte, leur développement ne serait pas aussi simple », tranche-t-il. Pour l’heure, les propriétaires ne sont exposés à aucune amende et « c’est bien regrettable », commente la directrice de la DEPPS.
Mais cette traque aux cliniques privées illégales pose la question du vide sanitaire qui en découle. D’après les chiffres officiels de 2023, 20 % des Ivoiriens vivent dans un désert médical. Sans solution de substitution, les malades situés dans des zones reculées pourraient se retrouver dépourvus de toutes alternatives, légales ou non.
« Ce petit risque existe », admet Marie-Josèphe Bitty, avant de vanter les efforts du gouvernement pour qu’aucun Ivoirien ne vive à plus de 5 kilomètres d’un établissement sanitaire de premier contact (ESPC). Dans son plan national de développement sanitaire 2021-2025, la Côte d’Ivoire s’est donné pour objectif de construire 200 ESPC et d’en réhabiliter 447, espérant ainsi remplacer les cliniques privées illégales par des structures contrôlées.
Pour mieux encadrer le personnel soignant et limiter les dérives, les députés ivoiriens ont adopté le 22 octobre un nouveau code de déontologie des professions d’infirmier et de sage-femme. Le texte précise le champ de compétences, les droits et les devoirs de chaque profession dans le but de « favoriser une pratique professionnelle consciencieuse ».
Arnaud Deux (Abidjan, correspondance)
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